1. Le Temple de Jérusalem
Représentation symbolique du Temple. Un mur d'enceinte percé de trois portes monumentales précède l'image du sanctuaire, en péristyle; devant la porte de celui-ci, un autel et une Menorah d'or.
Des fidèles conduisent des animaux qui seront sacrifiés.
Le grand-prêtre, revêtu de ses ornements rituels, est désigné par le nom d'Aaron (écrit en grec), plus grand (car plus important) que les fidèle.
Détail (registre médian du mur ouest) de la synagogue de Doura Europos (244-245 de notre ère), reconstituée en partie (salle de prière et ciborium)
au musée de la Diaspora, Tel Aviv.
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• De tous temps les hommes ont eu besoin de lieux spécifiques pour
le culte et la prière.
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• Les premiers Hébreux construisirent des lieux de culte en
des endroits marqués par des souvenirs particuliers (comme Beth-El, Gabaôn, Ghilgal,
Hébrôn, Sichem, Silo, dont l’origine traditionnelle remontait le plus souvent au
temps des patriarches).
• Puis un temple portatif (Michkane), la "Tente d’Assignation" ou "de la Rencontre" ->
les accompagna pendant quarante ans dans le désert.
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• Plus tard, ce temple itinérant fut remplacé par un temple en
dur, construit par le roi Salomon. Bâti sur l’une des collines de Jérusalem, le
mont Moria’ (que le roi David avait acquis dans ce but), le Temple devint alors
la maison de Dieu à Jérusalem, lieu central du culte pour le peuple juif.
Le roi Salomon construisit le premier Temple dans la
quatrième année de son règne, au Xème siècle avant l’ère courante. Les travaux
durèrent sept ans et aboutirent à une construction somptueuse.
<- L'esplanade du Temple (élévation et plan), du Xème au IIème siècles avant l'ère courante.
Le temple se présentait comme une série de vastes cours
en plein air, de plus en plus sacrées : parvis des Gentils, des
femmes, des hommes (ou « d’Israël »), des prêtres.
Au cœur de cet ensemble s’élevait l’édifice du sanctuaire avec son haut portique, ses murs revêtus de lambris sculptés dans des cèdres du
Liban, et ses fenêtres aux grilles solides ; il mesurait soixante coudées
(« אמת־איש – ‘Ammôt-‘Ish =
coudées d’homme », soit entre 45 cm pour une « petite coudée » et
52,5cm pour une « grande coudée ») = environ 27m de longueur; vingt
coudées = environ 9m de largeur; et trente coudées = environ 14,5m de hauteur.
Il était lui-même composé de trois pièces successives :
-
le vestibule,
-
la salle du culte (ou « Demeure »),
-
et le Saint des Saints, lieu le plus
sacré de la maison de Dieu, auquel on accédait par une porte de bois d’olivier
et de cyprès recouverte d’or. Le sol, le plafond et les murs étaient également
recouverts d’or. On y trouvait l’arche d’Alliance, longuement décrite
par la tradition sacerdotale (Ex25,10-22) comme un coffre en bois
plaqué d’or contenant les tables de la Loi, recouvert du propitiatoire (plaque
d’or dominée par deux chérubins, d’or eux aussi – Ex 25,17-22) ;
lieu de la Présence divine, il recevait du grand-prêtre, le jour de Kippour,
une aspersion de sang (voir page « Le sang dans la Bible ») comme rite
d’absolution des péchés du peuple (Lv 16,15-16).
Ci-dessus: Bible de Perpignan par Salomon ben Raphaël (1299): en haut à gauche, le Saint des Saints, avec les Tables de la Loi surmontées du propitiatoire; autour, le mobilier du Temple: sous les Tables de la Loi, la table des douze pains de proposition; en haut à droite, la Menorah; sous celle-ci, l'autel des parfums.
Devant le Saint des Saints se trouvaient l’autel
des parfums et la table des pains de proposition, ainsi que la Menorah (candélabre à sept branches – Ex
25,31-40) d’or, allumée en permanence.
L’autel des sacrifices se trouvait en plein air, devant le
sanctuaire.
Durant le règne du roi Salomon, le Temple était le centre du
culte de tout le peuple.
On y célébrait les sacrifices de chaque jour de la
semaine, ceux du Shabbat et des fêtes.
Trois fois l’an, à l’occasion des fêtes de pèlerinage – Pessa’h, la Pâque, Chavouot,
les Semaines ou Pentecôte, et Soukkot , les Tentes ou Tabernacles – tout le
peuple s’y rendait pour offrir le sacrifice spécifique de la fête.
Talmud,
Soucca 51: "Nos maîtres ont enseigné […] Qui n'a pas vu Jérusalem dans sa splendeur n'a
jamais vu une belle cité. Qui n'a pas vu le Temple alors qu'il était construit
n'a jamais vu de construction magnifique."
Après le règne de Salomon – en 931 avant l’ère courante – se
produisit le schisme entre Royaume du Nord (Israël) et du Sud (Juda). Le rôle
central du temple s’en trouva considérablement diminué.
Ce premier Temple fut détruit en 587 avant l’ère courante
par Nabuchodonosor II.
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• Le « second Temple » fut reconstruit au
retour de l’Exil à Babylone (voir l’introduction à 2Ch 36,14-16;19-23 et Ps 137/136 en cliquant
ici) et consacré en 516 ou 515 avant l’ère courante; restauré et agrandi par les Asmonéens:
L'esplanade du Temple (élévation et plan) - Les restaurations et ajouts asmonéens, IIème-Ier siècles avant l'ère courante.
et à nouveau restauré et agrandi
par Hérode le Grand (nommé roi de Judée par Rome en 40 avant l’ère courante, il
avait repris Jérusalem en 37):
L'esplanade du Temple - agrandissements hérodiens, 37-4 avant l'ère courante (ci-dessus: élévation et plan; ci-dessous: vue générale en image de synthèse sous le même angle que l'élévation; le sanctuaire vu de face, maquette au 1/50ème par Michaël Avi-Yonah, exposée dans le parc de l'hôtel Holyland) .
Il fut détruit en 70 de l’ère
courante par Titus et les armées romaines (voir plus bas "Kamtza et
Bar-Kamtza").
Arc de triomphe de Titus (fin du Ier siècle - Rome), bas-relief de la voûte :
Cortège triomphal des troupes impériales, avec le butin arraché au Temple de Jérusalem (détail) ->
La tradition rapporte que le premier Temple fut détruit à
cause de l’idolâtrie, des incestes et des crimes de sang ; et le second à
cause de la haine gratuite répandue entre les Juifs:
Talmud,
Youma, 9: "Le premier Temple, pourquoi a-t-il été
détruit? A cause de trois choses: idolâtrie, mauvaises mœurs, meurtre […] Mais le
deuxième Temple, pourquoi a-t-il été détruit, alors qu'on s'adonnait (à cette
époque) à l'étude de la Torah, au respect des commandements religieux et à
l'action charitable? C'est parce qu'il y régnait la 'haine gratuite'. Ce qui
t'enseigne que la haine gratuite est aussi grave que (tout ensemble) les trois
fautes d'idolâtrie, de mauvaises mœurs et de meurtre."
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• Le jour anniversaire de la destruction des deux temples, le 9
du mois de Av (Ticha BeAv), est un jour de grand deuil et de jeûne pour le
peuple juif (voir plus bas).
• Cependant, les maîtres de la Tradition ont eu le génie de construire un
autre Temple, immédiatement après la destruction du second, un Temple
invisible, spirituel,celui de l’étude. C’est l’œuvre de Rabbi Yo'hanan ben
Zakkaï, qui ne demanda qu’une chose à l’empereur romain Vespasien : « Laisse-moi
construire une école dans la ville de l’Eternel ». Cet édifice invisible
ne pourra jamais être détruit : c’est celui de la culture vivante et
renouvelée, de la lecture des Textes, et de l’infini mouvement de leur
commentaire.
Le mobilier du sanctuaire, dans la Bible de Perpignan, par Salomon ben Raphaël (1299).
Les objets du culte ne sont pas représentés in situ, mais disposés de façon abstraite sur deux pages en regard, en compartiments géométriques.
La composition d'ensemble rappelle que,
depuis la destruction du Temple, l'Ecriture est l'unique support de la tradition (Paris, BNF).
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2. Ticha BeAv
« Celui qui prend le deuil de la destruction de Jérusalem
méritera de prendre part à la
joie de la reconstruction de Jérusalem. »
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Comme on l’a dit plus haut, Ticha BeAv est un jour de grand
deuil. Il est préparé par un certain nombre de jours de jeûne et/ou de deuil.
• Le 17 Tamouz , commémoration du début de la
destruction de Jérusalem, est jour de jeûne conseillé .
• Ce jour ouvre une période de 3 semaines, les « ימי בין המצרים - yemei bein hametzarim, les jours entre les détroits» durant lesquelles il est prescrit de réduire au maximum les
marques de joie et les festivités, et donc d’éviter toute activité potentiellement
« risquée ».
Il est ainsi prescrit de ne pas:
- assister à des activités publiques où des
chants, danses, musique instrumentale sont requis ;
- se marier (mais la célébration de fiançailles
est autorisée) ;
- réaliser un voyage d’agrément ;
- se couper les cheveux ;
- dire la bénédiction שהחינו - shèhè'hiyanousur un fruit ou un
vêtement nouveau
(sauf bien sûr à Shabbat, où le deuil n’est pas de
mise).
• Durant les neuf premiers jours du mois d’Av, on ne
mange pas de viande, on ne boit pas de vin parce que les sacrifices et les libations de
vin ont cessé pendant la période qui a précédé la destruction du Temple.
On n’achète ni ne fait faire de vêtement neuf.
A Shabbat, selon
les traditions, on peut consommer ou non de la viande, ou encore (au Maroc par exemple)
de la viande préalablement mise à sécher, puis frite à la poêle.
• Le jour de תשעה
באב – Tisha BeAv – le 9 Av, les restrictions sont plus
strictes encore qu’à Yom Kippour (à Kippour, on se lamente sur ce que l'on a fait, à Tisha BeAv on se lamente sur les malheurs subis par le peuple juif).
Elles commencent un peu avant le coucher du soleil, et se
terminent après le lever des étoiles le lendemain.
On ne doit pas :
-
manger ni boire, même de l’eau ;
-
se laver, se baigner, se raser, s’oindre ou se
maquiller ;
-
avoir de relations sexuelles ;
-
porter des chaussures de cuir ;
-
étudier la Torah (ce qui est autorisé le Yom Kippour) - car l'étude de la Torah réjouit les cœurs - à l'exception du livre des Lamentations (איכה-'Eikhah) et de ses
commentaires midrashiques; des prophéties de Jérémie; des passages talmudiques
liés à la destruction du Temple, etc...
Le travail professionnel est également restreint.
De nombreux rites de deuil sont observés :
on évite
-
de sourire,
-
de rire,
-
d’avoir des conversations futiles ;
on s’assied sur
des tabourets bas ou au sol.
A la synagogue, on lit le livre des
Lamentations, et on récite les prières de deuil.
• En effet, selon une mishna,
dans les temps bibliques, un 9 du mois Av
-
il a été décrété à la génération du désert de ne
pas rentrer en Israël ;
-
le premier Temple de Jérusalem a été détruit en
587 avant l’ère courante ;
-
le second Temple de Jérusalem a été détruit en 70
de l’ère courante ;
- la révolte de Bar Kokhba fut écrasée par les
légions romaines d’Hadrien, qui s'acheva sur la destruction de la forteresse de Betar, bastion de cette révolte,
en 135 de l’ère courante ;
<- Tétradrachme d'argent émis à l'époque de l'insurrection de Bar Kochba (132-135): représentation de la façade du Temple.
- un an plus tard, le 9 Av 136, le mont du Temple
fut profané, Jérusalem rebâtie en cité païenne, à laquelle fut donné le nom
d'Aelia Capitolina, dont l'entrée était interdite aux Juifs tous les jours de
l'année, à l'exception du 9 Av, jour où les Juifs pouvaient se lamenter sur la
perte de leur pays, de leur ville et de leur temple.
Dans le commentaire talmudique de cette
mishna, on objecte que la destruction
du second Temple n'eut pas lieu le jour précis du 9 Av, mais qu'elle est
thématiquement associée à ce jour de jeûne (selon ce commentaire, le feu qui
consuma Jérusalem fut allumé ce jour, mais son œuvre se poursuivit jusqu'au jour suivant, et la
destruction aurait donc techniquement eu lieu le 10 Av). Par ailleurs, le Talmud, s'il ne donne pas non plus de preuve que la forteresse de Betar tomba le 9 Av, reconnaît cependant qu'il existe une tradition affirmant que ce fut bien le cas.
Le 9 Av fut par la suite associé à bon nombre de malheurs
pour les
Juifs :
-
l’appel à la Croisade par le pape Urbain II le 9
Av 4855 (1095
EC),
-
la destruction par le feu
du Talmud à Paris le 9 Av 5002 (1242 EC),
-
la signature du décret d’expulsion des Juifs d’Angleterre
par le roi le 9 Av 5050 (1290 EC)
-
le décret de l’Alhambra, signé par Ferdinand d’Aragon
et Isabelle de Castille, expulsant musulmans et juifs d’Espagne prit effet le 9
Av 5252 (1492 EC), etc.
D'aucuns
pensent qu'il s'agit là de folklore avant tout, et qu'on a tendance à dater
toutes les catastrophes tombant en été au 9 Av ; mais ce n'est pas
l'opinion la plus répandue.
Et il est exact que de nombreuses commémorations se
tiennent le 9 Av lorsqu'on ne connaît pas la date exacte des faits, par exemple celle de la
destruction des communautés rhénanes lors des Croisades.
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Kamtza
et Bar-Kamtza
Le Rabbin Yochanan dit:
"Quel est le
sens du verset dans le Livre de
"Mishlei" (Proverbes 28) qui dit, 'Heureux l'homme constamment
timoré! Qui endurcit son cœur tombe dans le malheur'? Par la faute de "Kamtza
et Bar-Kamtza" Jérusalem fut détruite…
Il y avait un certain homme qui était ami de Kamtza mais ennemi de
Bar-Kamtza. Il donna un festin et dit à son serviteur: "Va chercher Kamtza et
amène-le à mon festin"
Mais le serviteur amena Bar-Kamtza à la place.
Celui qui donnait le festin se rendit compte de la présence de
Bar-Kamtza. Il lui dit: "Puisque tu es mon ennemi, que fais-tu ici? Lève-toi et
sors!"
Bar-Kamtza dit: "Puisque maintenant je suis ici, laisse moi rester et je
paierai ce que je mangerai et boirai."
L'hôte répondit: "Non!"
"Je paierai la moitié du festin."
"Non!"
"Je paierai le festin entier!"
"Non!"
Et il saisit Bar-Kamtza, le fit lever et le jeta hors du
festin!
Bar-Kamtza pensa: "Puisque les rabbins étaient présents, qu'ils virent
tout et ne protestèrent pas, ils n'avaient manifestement pas d'objections à ce
qu'on me traite si mal! Je vais tout de suite voir le roi, et me régaler de calomnies
contre eux."
Bar-Kamtza alla voir le César et déclara: "Les Juifs se sont révoltés
contre toi!"
Le César répondit: "Qui dit cela?"
Bar-Kamtza dit: "Envoie-leur un animal et voit s'ils veulent bien le
sacrifier."
Le César envoya (en compagnie de Bar-Kamtza) un bélier sain et sans
défaut. Sur le chemin, Bar-Kamtza abîma la face de l'animal.
Certains disent
que le défaut était sur la lèvre supérieure; d'autres qu'il était dans l'œil
(peut-être symbolisant ainsi le silence des rabbins ou le fait qu'ils aient vu
la disgrâce et qu'ils n'avaient rien fait); dans tous les cas, un endroit où le
défaut est disqualifiant pour nous et non pour les Romains.
Les rabbins voulaient tout de même sacrifier l'animal pour maintenir des
relations pacifiques avec le gouvernement.
Mais Rabbin Zechariah fils
d'Avkoulos objecta: "Les gens diront 'Des animaux souillés peuvent être
sacrifiés sur l'autel!' "
Les Rabbins projetèrent de tuer Bar-Kamtza pour qu'il ne puisse pas
rapporter ce qui était arrivé au César!
Mais Rabbin Zechariah fils d'Avkoulos
objecta: "Les gens diront 'Celui qui souille les sacrifices se fait tuer!'
"
Le Rabbin Yochanan dit: "La prudence excessive du Rabbin Zechariah fils
d'Avkoulos détruisit notre Temple, incendia notre Palais, et nous exila de
notre Terre."
D'autres événements significatifs sont
racontés dans le Talmud, mais ces derniers sont suffisants pour brosser le
portrait d'un groupe "d'érudits" de la Torah, dont la plupart étaient
corrompus au point que l'embarras d'un être humain leur était moins important
qu'un sacrifice qui respecte tous les détails de la Torah et ceci alors que
toute la nation pouvait en souffrir dangereusement.
A la fin de la section sur la destruction du Temple sacré se trouve une
déclaration du rabbin Eléazar: "Venez et regardez quelle est la
conséquence incroyable et désastreuse de l'embarras d'une personne, car HaShem
aida Bar-Kamtza, et détruisit sa maison, et incendia son palais."
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<- Le Temple de Jérusalem - Illustration d'une Haggadah du XVIIIème siècle - Musée juif de Prague.
L'intérieur du Temple, tel que représenté par une Bible mozarabe du Xème siècle - San Isidoro de León ->
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