Evangile selon saint Luc
(Chapitres 21-24)
Saint Luc est symbolisé par le bœuf
(Les Pères de l'Eglise ont rattaché chacun des quatre évangélistes à l'un
des "quatre Vivants" de l'Apocalypse entourant le Christ en
gloire;saint Luc est représenté par un bœuf, ou un taureau, ou un veau,
parce qu'au début de son Evangile il évoque le service au Temple de
Zacharie, prêtre et sacrificateur, mari d'Élisabeth et père de
Jean le Baptiste).
Plaque de reliure émaillée, XIIème siècle -
Musée de Cluny, Paris ->
<- Mosaïque - Mausolée de Galla Placidia - Ravenne
Détail de broderie
(fils d'or et d'argent sur velours) pour ornement liturgique - 1681 -
Couvent patriarcal de Bzommar (Liban)
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• Lc 21,5-19
Les disciples ne doivent ni s'étonner d'avoir à subir la persécution, ni se laisser séduire par des charlatans. Qu'ils tiennent bon! Rien ne saurait entamer leur espérance: au terme de l'épreuve, ils obtiendront la Vie.
• Traduction et notes:
Verset 5.
Καί τινων λεγόντων περὶ τοῦ ἱεροῦ ὅτι λίθοις καλοῖς καὶ ἀναθήμασι κεκόσμηται, εἶπε·
Comme quelques-uns parlaient des belles pierres et des offrandes qui faisaient l'ornement du temple, Jésus dit:
•
κεκόσμηται - faisaient l'ornement:
- Trad. littérale: "Et, certains disant du Temple que, grâce aux belles pierres et aux offrandes, il était orné, il dit". Le verbe κοσμέω kosmeō signifie "orner", "embellir" (d'où tous les termes français construits sur cette racine, "cosmétique" par ex.); il est ici employé au parfait passif; le parfait grec exprime le résultat présent d'une action passée: le Temple était, alors, magnifique parce qu'il avait été, auparavant, construit avec de nobles matériaux ("λίθοις καλοῖς - grâce aux belles pierres") et qu'il avait reçu des "offrandes".
- Comp. Mc 13,1.
- Le Temple de Jérusalem (voir à cette page), restauré et agrandi en 37-34 av. J.C. par Hérode le Grand, était renommé dans tout le monde romanisé pour sa beauté; les pèlerins juifs étaient à plus forte raison impressionnés par la grandeur et la magnificence de la demeure de Dieu.
Verset 6.
Ταῦτα ἃ θεωρεῖτε, ἐλεύσονται ἡμέραι ἐν αἷς οὐκ ἀφεθήσεται λίθος ἐπὶ λίθῳ ὃς οὐ καταλυθήσεται.
«Les jours viendront où, de ce que vous voyez, il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée».
•
οὐκ ἀφεθήσεται λίθος ἐπὶ λίθῳ - il ne restera pas pierre sur pierre: Voir Mt 24,2; même annonce en Lc 19,43-44.
Verset 7.
᾿Επηρώτησαν δὲ αὐτὸν λέγοντες· διδάσκαλε, πότε οὖν ταῦτα ἔσται, καὶ τί τὸ σημεῖον ὅταν μέλλῃ ταῦτα γίνεσθαι;
Ils lui demandèrent:
«Maître, quand donc cela arrivera-t-il, et à quel signe connaîtra-t-on que ces choses vont arriver?»
•
Επηρώτησαν - Ils demandèrent: Qui est ce "ils"?
- Lc 20,45 mentionne "la foule qui l'entourait", dont ici les "quelques uns" de 21,7.
- Mais, selon Mt et Mc, la question est posée par des "disciples", également mentionnés en Lc 20,45.
•
μέλλῃ ταῦτα γίνεσθαι - ces choses vont arriver: Comp. à la question posée en Mt 24,3, dont la portée semble plus large. Les disciples imaginent en effet vraisemblablement que la destruction du Temple marquera la fin des temps.
Verset 8.
᾿ὁ δὲ εἶπε· βλέπετε μὴ πλανηθῆτε· πολλοὶ γὰρ ἐλεύσονται ἐπὶ τῷ ὀνόματί μου λέγοντες· ὅτι ἐγώ εἰμι καί ὁκαιρὸς ἤγγικε. μὴ οὖν πορευθῆτε ὀπίσω αὐτῶν.
Jésus répondit:
«Prenez garde que vous ne soyez séduits. Car plusieurs viendront en mon nom, disant: "C'est moi, et le temps approche". Ne les suivez pas.
•
βλέπετε - Prenez garde: Voir Mc 13,5 (et 9;23;33;35;37). L'intention de Jésus est avant tout d'exhorter ses disciples à la vigilance; les vv.8-11 indiquent en effet différents événements à venir, qui seront diversement interprétés par certains.
Verset 9.
᾿ὅταν δὲ ἀκούσητε πολέμους καὶ ἀκαταστασίας, μὴ πτοηθῆτε· δεῖ γὰρ ταῦτα γενέσθαι πρῶτον, ἀλλ᾿ οὐκ εὐθέως τὸ τέλος.
Quand vous entendrez parler de guerres et de soulèvements, ne soyez pas effrayés, car il faut que ces choses arrivent premièrement. Mais ce ne sera pas encore la fin».
Verset 10.
τότε ἔλεγεν αὐτοῖς· ἐγερθήσεται ἔθνος ἐπὶ ἔθνος καὶ βασιλεία ἐπὶ βασιλείαν,
Alors il leur dit: «Une nation s'élèvera contre une nation, et un royaume contre un royaume;
•
Voir Is 19,2:
וסכסכתי מצרים במצרים ונלחמו איש־באחיו ואיש ברעהו עיר בעיר ממלכה בממלכה׃
"J'exciterai l'Égypte contre l'Égypte, ils se battront, chacun contre
son frère, chacun contre son prochain, ville contre ville, royaume
contre royaume".
Verset 11.
᾿σεισμοί τε μεγάλοι κατὰ τόπους καὶ λιμοὶ καὶ λοιμοὶ ἔσονται, φόβητρά τε καὶ σημεῖα ἀπ᾿ οὐρανοῦ μεγάλα ἔσται.
il y aura de grands tremblements de terre, et, en divers lieux, des pestes et des famines; il y aura des phénomènes terribles, et de grands signes dans le ciel.
•
σημεῖα μεγάλα - de grands signes: Comp. 23,44-45; Ac 2,1-4;19-20; 4,31; 11,28; 16,26; dans le PT, comp. entre autres 2Ch 15,6; Jr 51,46.
Verset 12.
πρὸ δὲ τούτων πάντων ἐπιβαλοῦσιν ἐφ᾿ ὑμᾶς τὰς χεῖρας αὐτῶν καὶ διώξουσι, παραδιδόντες εἰς τὰς συναγωγὰς καὶ φυλακάς, ἀγομένους ἐπὶ βασιλεῖς καὶ ἡγεμόνας ἕνεκεν τοῦ ὀνόματός μου·
Mais, avant tout cela, on mettra la main sur vous, et l'on vous persécutera; on vous livrera aux synagogues, on vous jettera en prison, on vous mènera devant des rois et devant des gouverneurs, à cause de mon nom.
•
εἰς τὰς συναγωγὰς - aux synagogues: C'est-à-dire aux autorités religieuses juives. En plus de leur fonction cultuelle, elles avaient également (en particulier par rapport à l'occupant romain) la responsabilité de l'ordre religieux.
•
ἐπὶ βασιλεῖς καὶ ἡγεμόνας - devant des rois et devant des gouverneurs: C'est-à-dire devant des autorités non-juives.
L'histoire des premières Églises montre que la persécution est en effet venue des Juifs et des non-Juifs (voir par ex. Ac 4,1-22; 5,17-18; 9,22-23; 23,31-35; 25,1 - 26,32).
•
ἕνεκεν τοῦ ὀνόματός μου - à cause de mon nom: C'est-à-dire "à cause de moi". On sait en effet l'importance du "nom" en milieu sémitique: "le nom" = la personne elle-même (השם « HaShèm- le Nom » est d'ailleurs une autre façon de désigner יהוה-YHWH). Voir aussi, par ex., le v.17.
Verset 13.
ἀποβήσεται δὲ ὑμῖν εἰς μαρτύριον.
Cela vous arrivera pour que vous serviez de témoignage.
•
εἰς μαρτύριον - pour que vous serviez de témoignage:
- Le mot "μαρτύριον marturion'" désigne toute forme de témoignage visible d'un fait passé, ou d'une réalité invisible - ainsi le terme a-t-il été utilisé pour désigner, dans le PT, les Tables de la Loi renfermées dans le Tabernacle du Temple. Ce mot est dérivé de "μάρτυς martus", le témoin, qui a donné par transcription directe le "martyr" (l'homme martyrisé pour sa foi, dont il "témoigne"); tandis que "μαρτύριον" désigne le "martyre" (le fait d'être martyrisé, donc de servir de / de fournir un témoignage). Littéralement, "εἰς μαρτύριον", se traduit par "en vue d'un témoignage", "pour témoigner".
- Dans la pensée de Jésus, la persécution pourra devenir pour ses disciples occasion de "témoignage", v.13, devant les autorités juives ou romaines, v.12 (voir par ex. Pierre devant le Grand Conseil, Ac 5,32; Paul devant le commandant romain, Ac 22,1-21 et devant Agrippa, Ac 26).
Verset 14.
θέσθε οὖν εἰς τὰς καρδίας ὑμῶν μὴ προμελετᾶν ἀπολογηθῆναι·
Mettez-vous donc dans l'esprit de ne pas préméditer votre défense;
Verset 15.
ἐγὼ γὰρ δώσω ὑμῖν στόμα καὶ σοφίαν, ᾗ οὐ δυνήσονται ἀντειπεῖν οὐδὲ ἀντιστῆναι πάντες οἱ ἀντικείμενοι ὑμῖν.
car moi, je vous donnerai une bouche et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront résister, qu'ils ne pourront contredire.
•
ἐγὼ γὰρ - car moi: Comp. Mt 10,20; Mc 13,11; Lc 12,11-12, qui attribuent à l'Esprit Saint les paroles ("une bouche et une sagesse") qui seront données aux disciples.
•
οὐ δυνήσονται ἀντειπεῖν οὐδὲ ἀντιστῆναι - ne pourront résister, [...] ne pourront contredire: Voir Ac 4,13-14; 6,10.
Verset 16.
παραδοθήσεσθε δὲ καὶ ὑπὸ γονέων καὶ ἀδελφῶν καὶ συγγενῶν καὶ φίλων, καὶ θανατώσουσιν ἐξ ὑμῶν,
Vous serez livrés même par vos parents, par vos frères, par vos proches et par vos amis, et ils feront mourir plusieurs d'entre vous.
•
ὑπὸ γονέων καὶ ἀδελφῶν καὶ συγγενῶν καὶ φίλων - par vos parents, par vos frères, par vos proches et par vos amis: Cette division au sein même d'Israël avait été annoncée depuis le début (Lc 2,34-35; 3,17). La persécution ne viendra donc pas seulement des autorités (v.12).
Verset 17.
καὶ ἔσεσθε μισούμενοι ὑπὸ πάντων διὰ τὸ ὄνομά μου·
Vous serez haïs de tous, à cause de mon nom.
Verset 18.
καὶ θρὶξ ἐκ τῆς κεφαλῆς ὑμῶν οὐ μὴ ἀπόληται·
Mais il ne se perdra pas un cheveu de votre tête;
•
θρὶξ [...] οὐ μὴ ἀπόληται - il ne se perdra pas un cheveu: Voir Lc 12,7. En toutes choses Dieu restera maître des circonstances; il protègera ses témoins - parfois en les délivrant directement (Ac 5,19-20; 12,6-11; 14,19-20);
- mais pas toujours (v.16; Ac 7,54 - 8,1; 12,1-2; voir aussi l'exhortation à la "persévérance", v.19).
Mais, dans tous les cas, il prendra soin d'eux au-delà de la mort, en leur donnant son salut.
Verset 19.
ἐν τῇ ὑπομονῇ ὑμῶν κτήσασθε τὰς ψυχὰς ὑμῶν.
par votre persévérance vous sauverez vos âmes».
Commentaire patristique:
De Saint Ambroise, Commentaire de l'évangile de Luc, X, 6-8:
« Il ne restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. » Ces
paroles étaient vraies du Temple construit par Salomon [...], car tout ce
que nos mains construisent succombe à l'usure ou au délabrement, est
renversé par la violence ou détruit par le feu [...] Mais il existe aussi
un temple en chacun de nous qui s'écroule si la foi fait défaut, et
particulièrement si au nom du Christ on cherche faussement à s'emparer
de certitudes intérieures. C'est peut-être cette interprétation qui est
la plus utile pour nous. En effet, que me sert de savoir le jour du
jugement? A quoi me sert, ayant conscience de tant de péchés, de
savoir que le Seigneur viendra un jour, s'il ne vient en mon âme, ne
revient pas en mon esprit, si le Christ ne vit en moi, si le Christ ne
parle en moi? C'est donc à moi que le Christ doit venir, c'est pour
moi que doit avoir lieu son avènement.
Or
le second avènement du Seigneur a lieu au déclin du monde, quand nous
pouvons dire: « Pour moi le monde est crucifié, et moi pour le monde »
(Ga 6,14) [...] Pour celui à qui le monde meurt, le Christ est éternel ;
le temple est pour lui spirituel, la Loi spirituelle, la Pâque même
spirituelle [...] Pour lui donc se réalise la présence de la sagesse, la
présence de la vertu et de la justice, la présence de la rédemption,
car le Christ est bien mort une seule fois pour les péchés du peuple,
mais afin de racheter chaque jour les péchés du peuple.
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• Lc 21,25-28;34-36
Les évocations de l'ultime Manifestation du Fils de l'homme (sur cette expression, voir à cette page, Dn 7,13 et illustration ci-dessous) ne prétendent nullement décrire à l'avance cet événement sans précédent. Inutile d'essayer de se le représenter.
L'attendre sans peur, rester éveillé, prier sans relâche: voilà ce qui incombe au croyant et le prépare à ce qui doit arriver.
Jésus,
en reprenant dans ce passage l'expression "Fils d'homme" et en se
l'appliquant, fait bien entendu allusion aux grands thèmes prophétiques
sur le "Jour du Seigneur":
<- La vision du prophète Ézéchiel sur la rive du fleuve Kebar
- seconde moitié du XVIème siècle (Monastère des Solovki - Kremlin -
Moscou).
Le Seigneur est assis sur un arc-en-ciel, dans une gloire
ronde. Le "vent de tempête" par lequel se manifeste la puissance de
Dieu secoue les rochers comme un tremblement de terre, et fait
bouillonner les eaux où s'agitent des poissons. Dans cette icône, Ézéchiel est représenté deux fois: à gauche, il reçoit la vision; à
droite, il mange le livre inscrit d'amères prophéties ("Lamentations,
gémissements et plaintes"), mais "doux comme du miel" dans sa bouche.
Méditation sur Lc 21,34-36
Les récits du ministère public de Jésus sont encadrés, dans
l’Évangile selon saint Luc par une même image : celle du filet.
Luc
place tout au début le récit de la pêche miraculeuse (que Jean, pour sa
part, préfère situer après la résurrection) : les filets de Simon se
rompent sous le poids de la multitude des poissons et il reçoit la
mission d’être désormais pêcheur d’hommes (Luc 5,4-10).
Ici, à la fin
du dernier discours de Jésus avant sa Passion, il s’agit encore d’un
filet s’abattant sur des hommes, au Jour de Dieu.
La proximité de ces
images peut nous aider à comprendre et relativiser la résonance
menaçante de ce passage. Car l’évangéliste reprend, pour décrire la fin
des temps, les termes traditionnels des prophètes annonçant le Jour du
Seigneur : «Jour de fureur, ce jour-là ! jour de détresse et de tribulation, jour de désolation et de dévastation…»
(Sophonie 1,15). Mais là n’est pas la pointe de l’enseignement de Jésus
: de même que les hommes sont «pêchés» par le filet des apôtres, non
pour la mort, mais pour être rendus à la vie, de même le filet tombant
sur les hommes à la fin des temps les emporte, non vers leur
destruction, mais pour leur «délivrance» (Luc 21,28).
Il ne nous
est pas demandé d’enjamber le présent dans l’anticipation angoissée de
catastrophes à venir.
Il nous est demandé de «veiller». Non de
la vigilance anxieuse de la sentinelle redoutant l’ennemi ; mais de
l’attente paisible du Bien-aimé. Il nous est demandé de vivre chaque
instant comme s’il était le dernier, c’est-à-dire comme si ce que nous
pensions ou faisions pouvait s’inscrire dans l’éternité. Ce n’est pas
effrayant. C’est simplement exigeant.
Pour prolonger la méditation
- Du Nouveau Testament :
- Ep 5,15-16
:
« Prenez donc garde de vous conduire avec circonspection, non comme des
insensés, mais comme des sages; rachetez le temps, car les jours sont
mauvais. »
- 1Th 5,9-10
:
« Dieu ne nous a pas destinés à sa colère, mais à l'acquisition du
salut par notre Seigneur Jésus Christ, qui est mort pour nous, afin que
[...] nous vivions ensemble avec lui. »
- 2P 3,13 :
« Nous attendons, selon la promesse [du Seigneur], de nouveaux cieux et une nouvelle terre, où la justice habitera. »
- Commentaire patristique :
Tu verras la lumière à découvert
Quand
notre Seigneur Jésus Christ viendra et, comme dit l’apôtre Paul, mettra
en lumière ce qui est caché dans les ténèbres et fera paraître les
intentions des cœurs pour que chacun reçoive de Dieu la louange qui lui
revient, alors, avec la présence d'une telle lumière du jour, les
lampes ne seront plus nécessaires. On ne nous lira plus la prophétie,
on n’ouvrira plus le livre de l’Apôtre, nous ne réclamerons plus le
témoignage de Jean, nous n'aurons plus besoin de l’Évangile lui-même.
Toutes les Écritures nous seront retirées, alors qu’elles brillaient
pour nous comme des lampes dans la nuit de ce monde, pour que nous ne
demeurions pas dans l’obscurité.
Quand tout cela aura disparu, puisque nous n’aurons plus besoin
de cette lumière, pas plus que des hommes de Dieu qui nous la
procuraient, lorsque nous verrons cette lumière véritable et éclatante,
en l'absence de tous ces moyens, qu’est-ce que nous verrons ? Quelle
nourriture notre esprit trouvera-t-il ? Qu’est-ce qui réjouira nos
regards ? D'où viendra cette joie que l’œil de l'homme n'a pas vue, que
l'oreille n’a pas entendue, que son cœur n’a pas imaginée ? Que
verrons-nous ?
Je vous en conjure, aimez avec moi ; empressez-vous de croire
avec moi ! Désirons la patrie d’en haut, aspirons à la patrie d’en
haut, comprenons que nous sommes ici-bas des exilés. Que verrons-nous ?
Que l’Évangile nous le dise : «Au commencement était le Verbe, et le
Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu». Tu recevais quelques
gouttes de rosée : tu viendras à la source. Un rayon parvenait jusqu’à
ton cœur plein de ténèbres à travers des détours et des souterrains :
tu verras la lumière elle-même à découvert et tu seras purifié pour
être capable de la voir et de la porter.
- D'un théologien ancien :
Bienheureux Jan van Ruusbroec (1293-1381), chanoine régulier, Les Noces spirituelles
« Alors on verra le Fils de l'homme venir »
« Voici l'époux qui vient. » (Mt 25,6) Le Christ, notre époux,
prononce ce mot. En latin le mot « venit » contient en lui deux temps
du verbe : le passé et le présent ; ce qui ne l'empêche pas de viser
aussi le futur. C'est pourquoi nous allons considérer trois avènements
chez notre époux, Jésus Christ.
Lors
du premier avènement, il se fit homme à cause de l'homme, par amour. Le
second avènement a lieu tous les jours, souvent et en mainte occasion,
dans chaque cœur qui aime, accompagné de nouvelles grâces et de
nouveaux dons, selon la capacité de chacun. Dans le troisième
avènement, l'on considère celui qui aura lieu le jour du Jugement ou à
l'heure de la mort...
Le motif pour lequel Dieu a créé les
anges et les hommes est sa bonté infinie et sa noblesse, puisqu'il a
voulu le faire afin que la béatitude et la richesse qu'il est lui-même
soient révélées aux créatures douées de raison, et que celles-ci
puissent le savourer dans le temps, et jouir de lui au delà du temps,
dans l'éternité.
Le
motif pour lequel Dieu s'est fait
homme est son amour insaisissable et la détresse des hommes, car ils
étaient altérés par la chute du péché originel et incapables de s'en
guérir. Mais le motif pour lequel le Christ a accompli toutes ses
œuvres sur terre non seulement selon sa divinité mais aussi selon son
humanité est quadruple : à savoir son divin amour, qui est sans mesure
; l'amour créé, ou charité, qu'il possédait dans son âme, grâce à
l'union avec le Verbe éternel et grâce au don parfait que lui en a fait
son Père ; la grande détresse en laquelle se trouvait la nature humaine
; enfin, l'honneur de son Père. Voilà les motifs de l'avènement du
Christ, notre époux, et de toutes ses œuvres.
- D'un théologien moderne:
J.-B. Metz, L'Avent de Dieu (1967)
Nous
sommes semblables à des enfants jouant sur la plage à marée basse. Le
sol qui s'étend sous nos pas ne nous appartient pas: il appartient au
flot montant des eaux infinies de Dieu. Si nous choisissons de nous en
détourner, les vagues nous frapperont dans le dos avec une vigueur plus
terrifiante et plus dévastatrice que si nous avions fait face. La fuite
est impossible. Toutes les formes de l'existence humaine portent le
sceau de l'avènement divin.
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• Lc 23,35-43
Les
disciples ne doivent ni s'étonner d'avoir à subir la persécution, ni se
laisser séduire par des charlatans. Qu'ils tiennent bon! Rien ne
saurait entamer leur espérance: au terme de l'épreuve, ils obtiendront
la Vie.
• Sur Lc 22,66 - 23,56:
Avec le procès et l'exécution de Jésus, le plan de Dieu arrive à sa conclusion.
Les autorités juives, qui pensent agir au nom de Dieu, contribuent en fait involontairement à l'achèvement du plan divin, tout en étant coupables.
• Jésus est d'abord présenté au Grand Conseil (22,66-71), puis à Pilate (23,1-5), enfin à Hérode (23,6-12).
Pratiquement tout au long de ces comparutions, Jésus garde le silence; mais il est finalement condamné, sous la pression constante des autorités juives puis de la foule (23,5;10;23), et malgré les tentatives répétées de Pilate de le déclarer innocent (23,4;14-16;20;22). Les autorités romaines s'inclinent finalement devant cette parodie de justice.
• La suite du récit présente les réactions que suscite parmi le peuple cette condamnation: les uns se lamentent (23,27), observent (23,35) puis s'en vont attristés (23,48); les autres se moquent de Jésus et l'insultent (23,35;39).
Le soutien offert à Jésus et/ou sa reconnaissance viennent des personnes les plus inattendues: Simon de Cyrène (même s'il n'est pas volontaire), des femmes de Jérusalem, un bandit crucifié, un officier romain.
• Même au moment de la souffrance la plus intense, Jésus reste le Prophète (23,28-31), celui qui pardonne (23,34), qui ouvre la porte du paradis (23,43) et qui donne sa vie consciemment et volontairement (23,46).3
• Traduction et notes:
Verset 35.
καὶ εἱστήκει ὁ λαὸς θεωρῶν. ἐξεμυκτήριζον δὲ καὶ οἱ ἄρχοντες λέγοντες· ἄλλους ἔσωσε, σωσάτω ἑαυτόν, εἰ οὗτός ἐστιν ὁ Χριστὸς ὁ τοῦ Θεοῦ ἐκλεκτός.
Le peuple se tenait là, et regardait.
Les magistrats se moquaient de Jésus, disant: "Il a sauvé les autres; qu'il se sauve lui-même, s'il est le Christ, l'élu de Dieu!"
•
σωσάτω ἑαυτόν - qu'il se sauve lui-même: Ils ne comprennent pas que si Jésus refuse de "se sauver lui-même" c'est précisément afin de "sauver les autres".
•
ὁ τοῦ Θεοῦ ἐκλεκτός - l'élu de Dieu: Voir Lc 9,35 et note à cette page; Is 42,1: "Voici mon serviteur, que je soutiendrai,
Mon élu, en qui mon âme prend plaisir.
J'ai mis mon esprit sur lui;
Il annoncera la justice aux nations."
Verset 36.
ἐνέπαιζον δὲ αὐτῷ καὶ οἱ στρατιῶται προσερχόμενοι καὶ ὄξος προσφέροντες αὐτῷ
Les soldats aussi se moquaient de lui; s'approchant et lui présentant du vinaigre,
•
ὄξος προσφέροντες αὐτῷ - lui présentant du vinaigre: En Ps 69,22 ("Ils mettent du fiel dans ma nourriture,
Et, pour apaiser ma soif, ils m'abreuvent de vinaigre") ce geste est présenté comme un outrage; pourtant, du "vin aigre" (par opposition au vin très fort mêlé de miel pour la conservation que l'on buvait lors des banquets) coupé d'eau était la boisson traditionnelle (et désaltérante) des armées romaines.
Versets 37-38.
καὶ λέγοντες· εἰ σὺ εἶ ὁ βασιλεὺς τῶν ᾿Ιουδαίων, σῶσον σεαυτόν.
ils disaient: "Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même!"
῏Ην δὲ καὶ ἐπιγραφὴ γεγραμμένη ἐπ᾿ αὐτῷ γράμμασιν ῾Ελληνικοῖς καὶ ῾Ρωμαϊκοῖς καὶ ῾Εβραϊκοῖς· οὗτός ἐστιν ὁ βασιλεὺς τῶν ᾿Ιουδαίων.
Il y avait au-dessus de lui cette inscription, écrite en grec, latin et hébreu: "Celui-ci est le roi des Juifs".
•
ὁ βασιλεὺς τῶν ᾿Ιουδαίων- le roi des Juifs: Comp. Jn 19,19-20: "Pilate fit une inscription, qu'il plaça sur la croix, et qui était ainsi conçue: Jésus de Nazareth, roi des Juifs. Beaucoup de Juifs lurent cette inscription, parce que le lieu où Jésus fut crucifié était près de la ville: elle était en hébreu, en grec et en latin".
- On plaçait effectivement un écriteau, le "titulus", indiquant leur crime au-dessus des condamnés à mort, afin de servir de mise en garde aux populations.
- Jn,contrairement à Lc,précise que c'est Pilate qui a fait placer cette inscription; on a déjà vu en Mt 27,11//Mc 15,2//Lc 23,3//Jn 18,33 que Pilate a commencé son interrogatoire en posant cette question à Jésus: "Es-tu le roi des Juifs?". Cette question montre la façon dont les autorités juives ont formulé leur accusation pour la présenter aux autorités romaines; en effet, Pilate ne souhaitait pas se laisser entraîner dans un procès religieux (auquel il ne comprenait pas grand'chose: les sectes étaient alors nombreuses au sein du Judaïsme, et le Christianisme primitif apparaissait pour beaucoup comme l'une de ces sectes), ni avoir à condamner Jésus. Mais si les autorités juives lui disent "Jésus se prétend roi des Juifs", alors le procès devient politique: il n'y a de souverain dans l'Empire romain que César, et celui qui se prétend roi doit alors être considéré comme fomentateur de conspiration contre l'empereur.
- "Beaucoup de Juifs": les faits se déroulent lors des fêtes de Pessah', fête de pèlerinage où la "montée" à Jérusalem était obligatoire pour tous les Juifs.
- Jnprécise que Jésus "fut crucifié près de la ville": de même que les sépultures étaient situées hors de la ville, pour ne pas entacher sa pureté rituelle par la proximité de la mort, les exécutions capitales avaient lieu à l'extérieur de ses murs.
- L'inscription était trilingue; en effet le latin était la langue officielle de l'occupant, mais le grec était la langue véhiculaire dans l'Empire, largement répandue en Palestine (les Juifs pieux appelaient "hellénisants" ceux qu'ils accusaient de "collaboration" avec les Romains). La présence de ces trois langues est une reconnaissance (bien involontaire!) de la royauté universelle de Jésus.
En hébreu: "הוא מלך היהודים"
En grec: "οὗτός ἐστιν ὁ βασιλεὺς τῶν ᾿Ιουδαίων"
En latin: "hic est rex Iudaeorum"
- À noter que l'inscription "INRI" que l'on voit sur nos crucifix est l'acronyme de "Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum", "Jésus de Nazareth, roi des Juifs"; pourtant seul Jn donne la précision "Ναζωραῖος".
Verset 39.
Εἷς δὲ τῶν κρεμασθέντων κακούργων ἐβλασφήμει αὐτὸν λέγων· εἰ σὺ εἶ ὁ Χριστός, σῶσον σεαυτὸν καὶ ἡμᾶς.
L'un des malfaiteurs crucifiés l'injuriait, disant: "N'es-tu pas le Christ? Sauve-toi toi-même, et sauve-nous!"
Verset 40.
ἀποκριθεὶς δὲ ὁ ἕτερος ἐπιτίμα αὐτῷ λέγων· οὐδὲ φοβῇ σὺ τὸν Θεόν, ὅτι ἐν τῷ αὐτῷ κρίματι εἶ;
Mais l'autre le reprenait, et disait: "Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation?
<- "Le Brigand de droite" - 1775 - Le Bon Larron est représenté nu, vêtu seulement d'un périzoma; sa main gauche, comme son visage, est levée - sans doute en direction du Christ. Au fond, les remparts et la ville de Jérusalem. Cette
icône devait faire partie d'un triptyque présentant le Christ au
centre, avec le "larron théologien" à droite comme le veut la
tradition; c'est d'ailleurs ce qu'indique l'inscription rouge, en
arabe, à gauche de sa tête: "Le brigand de droite". Sur les bordures
supérieure et inférieure, les inscriptions en arabe sont incomplètes;
en haut: "... Jésus Christ. Fait en l'année 1491 de l'ère copte."
(c'est-à-dire en 1775); en bas, l'inscription partielle cite la prière
du Bon Larron. Cette icône date de l'époque ottomane, où les icônes
grec-orthodoxes et grec-catholiques (melkites) ont trouvé une place
importante dans les églises coptes. Un style local s'est ainsi formé:
au contact des iconographes égyptiens, les iconographes levantins
"s'égyptianisent", et les artistes égyptiens adoptent l'iconographie
typologique. Ainsi en va-t-il d'Ohan (Jean) Karapétian, arménien de
Jérusalem installé au Caire, où il peint des icônes coptes qu'il signe
en arabe "Yûhanna Al-A'mani", c'est-à-dire "Jean l'Arménien", qui
travaille de conserve avec Abraham le Scribe, illustre iconographe
copte; tous deux signent conjointement une énorme production qui
s'étend sur quarante ans. Cette icône est typique de leur style: taille
prépondérante de la tête par rapport au corps, grands yeux en amande,
sobriété des moyens techniques et simplification des formes.
Verset 41.καὶ ἡμεῖς μὲν δικαίως· ἄξια γὰρ ὧν ἐπράξαμεν ἀπολαμβάνομεν· οὗτος δὲ οὐδὲν ἄτοπον ἔπραξε.
Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos crimes; mais celui-ci n'a rien fait de mal'.
•
οὗτος δὲ οὐδὲν ἄτοπον ἔπραξε - mais celui-ci n'a rien fait de mal: Le deuxième brigand reconnaît l'innocence de Jésus et sa propre culpabilité. Comparée à l'attitude des moqueurs qui entourent la Croix (qui disent la vérité sans même s'en rendre compte: "le Christ" - ou "Messie"; "l'élu de Dieu"; "le roi des Juifs"), cette lucidité est surprenante.
Il discerne même (v.42) dans la crucifixion de Jésus une étape conduisant à son règne.
Verset 42.καὶ ἔλεγε τῷ ᾿Ιησοῦ· μνήσθητί μου, Κύριε, ὅταν ἔλθῃς ἐν τῇ βασιλείᾳ σου.
Et il dit à Jésus: 'Souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton règne'.
Verset 43.καὶ εἶπεν αὐτῷ ὁ ᾿Ιησοῦς· ἀμήν λέγω σοί, σήμερον μετ᾿ ἐμοῦ ἔσῃ ἐν τῷ παραδείσῳ.
Jésus lui répondit: 'Je te le dis en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis'.
•
ἐν τῷ παραδείσῳ - dans le paradis: Le jardin de Dieu (la traduction en hébreu du NT reprend ici le terme "עדן", Eden), image de la nouvelle création.
Méditation & prière:
(D'après les Fraternités Monastiques de Jérusalem)
Nous
contemplons ici un homme qui n’a plus rien.
Plus de biens
matériels (s’il en a jamais eu!), plus d’attaches sociales : il n’est
plus qu’un réprouvé, condamné au pire supplice.
Même plus de temps : il
est seul devant la mort proche.
Et c’est celui-là qui sait regarder le
Christ, qui perçoit la puissance d’amour de cet homme silencieux,
défiguré, condamné comme lui, et l’implore de toute sa foi : «Jésus,
souviens-toi de moi…». C’est celui-là qui n’a plus que son manque à
offrir, qui sait recevoir la plénitude du don de Dieu. «C’est donc un
voleur qui a rouvert le paradis - commente
saint Ephrem de Nisibe.
Ouvrez les portes de votre coeur à Celui qui vous a ouvert les portes
de son Royaume.»
(C'est pourquoi dans l'Orient chrétien on ne parle
pas, comme en Occident, du "bon larron", mais du "larron théologien"
qui, par sa foi a "volé le Royaume" - sans nuance péjorative dans le
verbe "voler", mais pour indiquer qu'il l'a obtenu par sa seule foi,
non par sa vie).
Seigneur,
comme le larron, nous croyons que la puissance de ton amour, à tout
moment, peut faire refleurir nos déserts et redonner la vie; qu’elle
peut venir être la richesse de ceux qui n’ont plus rien, l’espérance de
ceux qui souffrent, la force de ceux qui meurent. Sois béni de faire de
nous, si nous nous tournons vers toi, ces saints affamés et
dépenaillés, plus pauvres que glorieux, que tu veux vêtir et rassasier,
rassurer et panser ; que tu veux combler d’un bonheur d’éternité, pour
peu qu’ils osent seulement te le demander. Sois béni de faire de nous
des mendiants heureux que tu veux revêtir de ta lumière et mettre au
rang de fils. Car rien n’est impossible à ton amour qui renouvelle
toutes choses. Amen.
Commentaire patristique :
« Pilate dit: ' Voici votre roi ' » (Jn 19,14)
Béni soit Dieu ! Célébrons le Fils unique, le Créateur des cieux,
qui est remonté après être descendu au profond des enfers et qui couvre
la terre entière des rayons de sa lumière. Célébrons l'ensevelissement
du Fils unique et sa résurrection comme vainqueur, la joie du monde
entier et la vie de tous peuples [...]
Tout cela a été obtenu pour nous lorsque le Créateur s'est levé
d'entre les morts, rejetant l'ignominie et transfigurant, dans sa
splendeur divine, le périssable en impérissable. Quelle est cette
ignominie qu'il a rejetée ? Isaïe nous le dit : « Sans beauté ni éclat
nous l'avons vu et sans aimable apparence, rebut de l'humanité »
(Is 53,2-3). Quand donc a-t-il été sans gloire ? Quand il portait sur les
épaules le bois de la croix comme le trophée de sa victoire sur le
diable. Lorsqu'on a mis sur sa tête une couronne d'épines, lui qui
couronne ses fidèles. Lorsqu'ils ont revêtu de pourpre celui qui revêt
d'immortalité ceux qui sont re-nés de l'eau et de l'Esprit Saint.
Lorsqu'ils ont cloué au bois le maître de la vie et de la mort [...]
Mais celui qui était sans gloire a été transfiguré dans la
lumière, et la joie du monde s'est réveillée avec son corps [...] « Le
Seigneur est roi, il s'est vêtu de beauté ! » (Ps 92,1) Quelle beauté
a-t-il revêtue ? L'incorruptibilité, l'immortalité, la convocation des
apôtres, la couronne de l'Eglise [...] Paul s'en fait le témoin,
écoutons-le : « Il convenait que ce qui est corruptible revête
l'incorruptibilité et ce qui est mortel l'immortalité » (1Co 15,53).
Le
psalmiste dit aussi : « Ton trône est fixé dès l'origine, de tous temps
c'est toi le Seigneur ; ton règne, un règne pour les siècles ; ton
règne, un règne éternel qui ne sera pas détruit » (Ps 92,2; 145,13). Et
encore : « Dieu règne, exulte la terre, que jubilent les îles
nombreuses » (Ps 96,1). A lui la gloire et la puissance, amen!
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• Lc 24,35-48
L’épilogue
de l’évangile des pèlerins d’Emmaüs récapitule ce que saint Luc estime
personnellement devoir être retenu au sujet des apparitions du Ressuscité.
Témoins
« officiels » de la résurrection du Seigneur, les Apôtres n’ont rien
inventé et n’ont pas été le jouet de leur imagination : leur difficulté à
admettre la réalité des apparitions en donne l’assurance! Ils ont pu constater
que c’est bien le Crucifié lui-même qu’ils ont vu vivant, et non un fantôme.
La
résurrection du Seigneur a pour elle la garantie de toutes les Ecritures.
Voilà
ce que les chrétiens et l’Eglise doivent annoncer au monde à la suite des Apôtres.
Commentaire stylistique et rhétorique sur quelques passages de ce texte :
(Voir en cliquant ici le vocabulaire rhétorique)
▪ Lc 24,36-43:
- Ce passage est formé de trois parties organisées de manière concentrique.
- Les parties extrêmes (36-37 et 40-43), toutes deux formées de trois segments
bimembres, se répondent de manière spéculaire (= comme dans un miroir).
- Leurs segments extrêmes (36ab et 42-43) s’achèvent par un syntagme (= groupe
de mots formant un tout) semblable : « au milieu d’eux » et « devant
eux ».
- Au centre, (36c et 41b), les deux seules paroles de Jésus dans ces parties
extrêmes sont introduites par une phrase de récit presque identique : « [et]
il leur dit ».
- Enfin le dernier segment de la première partie (37) et le premier de la
dernière (40-41a) se correspondent de manière spéculaire : les deux
participes de 37a, « terrifiés et craignant » et ceux de 41a « ne
croyant pas […] et s’étonnant » sont presque identiques ; les deux
autres membres (37b et 40) se répondent, avec deux verbes de vision « voir »
et « montra », dont les compléments d'objet direct s’opposent
sémantiquement (= par le sens) : « un esprit » et « ses
mains et ses pieds ».
- Quant au segment central (38-39), il présente de nombreuses reprises
lexicales (= de vocabulaire) internes et par rapport aux segments extrêmes.
On peut donc schématiser ainsi le passage 24,36-43:
+ (36) Or comme ils parlaient de cela,
+ lui se tint AU MILIEU D’EUX
- et il leur dit :« Paix à vous ! »
= (37) Mais étant devenus TERRIFIES ET
CRAIGNANT,
: ils pensaient VOIR un esprit.
[ (38) Et il leur dit : « pourquoi
êtes-vous TROUBLES et pourquoi ces raisonnements montent-ils dans
vos cœurs ?
(39) REGARDEZ mes mains et mes pieds :
C’est bien moi.
Touchez-moi !
REGARDEZ : un esprit n’a ni chair ni os
comme moi, vous VOYEZ que
j’en ai. ]
: (40) En disant cela, il leur MONTRA ses mains et ses pieds ;
= (41) mais eux NE CROYANT PAS encore à cause de la joie et S’ÉTONNANT,
- il leur dit :« Avez-vous de la nourriture ici ? »
+ (42) Or eux lui donnèrent un morceau de poisson grillé
+ (43) et lui, l’ayant pris, le mangea DEVANT EUX.
▪ Lc 24,44-47:
Au début de la dernière séquence de Luc (Lc 24), près des deux femmes qui se sont rendues au sépulcre
de Jésus se tiennent soudain « deux
hommes » « en vêtements fulgurants » (Mt 16,5), c’est « un ange »
qui annonce la résurrection aux femmes, et en Mc (24,4). Ces deux hommes
sont souvent identifiés comme des anges ; dans le passage parallèle de 16,5, c’est « un
jeune homme enveloppé d’une robe blanche », ce qui est la tenue des anges.
Mais pour ce qui est de Luc, les deux messagers de la bonne nouvelle
ressemblent à s’y méprendre aux « deux hommes» qui étaient apparus avec Jésus
lors de la Transfiguration: Moïse et Elie (9,30). A ce moment-là, c’était Jésus
lui-même qui était vêtu d’un « manteau fulgurant » (9,29). Si l’on
accorde de l’importance à ces reprises lexicales, ou « récurrences de signifiants »,
il est difficile de ne pas être alerté par ces signaux – qui peuvent faire
soupçonner, pour Luc, la véritable identité de ces « deux hommes »
anonymes de la résurrection.
Or la cohérence de la dernière séquence de Luc peut étayer cette
interprétation.
En effet, Moïse et Élie sont
les représentants habituels de la Loi et des Prophètes. Or toute la séquence
Lc 24 est organisée autour de la parole :
-
au centre de la première sous-séquence (6b-8), les
paroles des deux hommes ne font que renvoyer à celles que Jésus avait
prononcées, quand il annonçait sa Passion et sa Résurrection ;
-
au début du second versant de la sous-séquence centrale
(25-27), Jésus rappelle aux deux disciples d’Emmaüs ce qu’avaient annoncé « les
prophètes », et le narrateur ajoute : « Et commençant par Moïse
et par tous les prophètes, il leur interpréta
dans toutes les Ecritures ce qui le concernait » ;
- le passage central de la dernière sous-séquence (44-47)
reprend tous les éléments antérieurs, depuis les paroles que Jésus avait dites
en Galilée jusqu’à celles de « la Loi de Moïse, les Prophètes et les
Psaumes », c'est-à-dire de toute l’Ecriture.
On peut schématiser ainsi le passage 24,44-47:
+ (44) Or il leur dit :
= « Telles sont les paroles
que je vous disais étant encore avec vous,
-------
: qu’il fallait que s’accomplisse
- tout ce qui
est écrit
- dans la Loi de
Moïse, les Prophètes et les Psaumes.
: sur moi »
____________________________________________
(45) Alors il leur ouvrit
* l’intelligence
* pour comprendre
les Écritures.
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+ (46) Et il leur dit :
= « Ainsi
il est écrit
-------
: que le Christ
souffrirait
- et se
lèverait d’entre les morts le
troisième jour
: (47) et qu’en son nom seraient proclamées la conversion
- et la remise
des péchés à toutes les nations. »
▪ Lc 24,25-47:
Comme on vient de le voir, certaines références
renvoient à toute l’Écriture.
C’est particulièrement frappant ici.
- A la fin de l’évangile, Jésus renvoie les disciples d’Emmaüs aux « Prophètes » :
« O cœurs sans intelligence, lents à croire tout ce dont ont parlé les
Prophètes » (24,25).
- Après quoi il résume le contenu de ce « tout » : « Ne
fallait-il pas que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire ? »
(24,27).
- Et le narrateur ajoute : « En commençant par Moïse et par tous les
Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures tout ce qui le
concernait » (24,27) ; la répétition
« tous »-« toutes »-« tout » accentue l’idée de totalité.
- Et, comme si cela ne suffisait pas encore, le verset 44 complète la liste en
ajoutant à la Loi (Moïse) et aux Prophètes les Psaumes – ce qui représente l’ensemble
des « Écritures ».
- Et, pour que tout soit dit, Jésus relie l’ensemble des Écritures à son
propre enseignement : « Telles sont les paroles que je vous disais étant
encore avec vous, qu’il fallait que s’accomplît tout ce qui est écrit dans la
Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes, à mon propos. »
-Après quoi, de nouveau, il résume la totalité des Écritures : « Ainsi
il est écrit que le Christ souffrirait et se lèverait d’entre les morts le
troisième jour, et qu’en son nom seraient proclamées la conversion et la remise
des péchés à toutes le nations » (24,46-47).
Il est clair que ces références ne renvoient pas le lecteur à une parole
précise, même si le nom de Moïse revient souvent. ; il ne s’agit pas de citations, mais plutôt
d’une synthèse l’unité de la
Bible, ce qui n’est pas indifférent…
▪ Lc 24,46-47b:
Si les parallélismes existent,
non seulement dans les textes poétiques, mais même dans les textes en prose, on
doit privilégier dans les traductions
celles qui les respectent le mieux.
Ainsi, pour ce passage :
(46) και ειπεν αυτοις οτι ουτως γεγραπται και ουτως εδει παθειν τον χριστον
και αναστηναι εκ νεκρων τη τριτη ημερα
(47) και κηρυχθηναι επι τω ονοματι αυτου μετανοιαν και αφεσιν αμαρτιων εις
παντα τα εθνη αρξαμενον...
dont nous avons vu plus haut qu’on pouvait le schématiser ainsi :
(46) Et il leur dit : « Ainsi il est écrit
et ainsi il fallait
: que le
Christ souffrît
- et se levât d’entre
les morts le troisième jour
: (47)
et qu’en son nom fussent proclamées la
conversion
- et la
remise des péchés
pour toutes les nations... »
• nous pouvons trouver (entre autres) les traductions suivantes qui
respectent assez bien les parallélismes-reprises:
-
Darby : « Et il leur dit: Il est ainsi écrit;
et ainsi il fallait que le Christ souffrît, et qu'il ressuscitât d'entre les
morts le troisième jour, et que la repentance et la rémission des péchés
fussent prêchées en son nom à toutes les nations »
-
Martin : « Et il leur dit : il est ainsi
écrit, et ainsi il fallait que le Christ souffrît, et qu'il ressuscitât des
morts le troisième jour; Et qu'on prêchât en son Nom la repentance et la
rémission des péchés parmi toutes les nations »
-
Ostervald (rév.1996): « Et il leur dit: Ainsi
est-il écrit, et ainsi fallait-il que le Christ souffrît, et qu'il ressuscitât
des morts le troisième jour, Et qu'on prêchât en son nom la repentance et la
rémission des péchés, parmi toutes les nations » ;
les deux traductions suivantes omettent le second verbe introducteur ("et ainsi il fallait":
-
L. Segond : « Et il leur dit: Ainsi il est
écrit que le Christ souffrirait, et qu'il ressusciterait des morts le troisième
jour, et que la repentance et le pardon des péchés seraient prêchés en son nom
à toutes les nations »
-
TOB (Traduction Œcuménique de la Bible) : « Et
il leur dit : C’est comme il a été écrit : le Christ souffrira et
ressuscitera des morts le troisième jour, et on prêchera en son nom la
conversion et le pardon des péchés à toutes les nations » ;
• nettement plus éloignée du texte grec, mais assez fidèle à son esprit, nous trouvons :
-
la FC (Bible en « français courant ») : « Et
il leur dit : Voici ce qui est écrit : le Messie doit souffrir, puis
se relever d’entre les morts le troisième jour, et il faut que l’on prêche en
son nom devant les nations » ;
• en revanche, nous pouvons aussi trouver des
traductions préférant inférer de la coordination « και » le sens
(forcé et non respectueux des parallélismes) de « pour », « en vue de » dans l’expression
« μετανοιαν και αφεσιν αμαρτιων » ; ainsi :
-
Nestle-Aland : « … et qu’en son nom serait
proclamée la conversion pour la remise des péchés pour toutes les nations »
(avec la lourde répétition de « pour »… qui, elle, n’est pas
dans le texte grec)
-
BJ (La Bible de Jérusalem) : « ... et qu'en son Nom le repentir en vue de la rémission
des péchés serait proclamé à toutes les nations » ;
- la plus mauvaise de toutes (comme c’est,
hélas, souvent le cas !) étant la traduction liturgique française :
« Il
conclut : C’est bien ce qui était annoncé par les Écritures : les
souffrances du Messie, sa résurrection d’entre les morts le troisième jour, et
la conversion proclamée en son nom pour le pardon des péchés à toutes les
nations »,
à
laquelle aucun professeur de grec (surtout de grec
biblique!) n’accorderait la moyenne... non plus d'ailleurs qu'aucun
professeur de français: en effet, syntaxiquement, « à toutes les nations » complète ici
grammaticalement seulement « le pardon des péchés » et non « la conversion
proclamée », alors que ce devrait être le cas - puisqu'en grec les deux expressions sont coordonnées, donc mises sur le même plan...
Nous
cumulons donc dans cette seule phrase
- une méconnaissance des phénomènes
linguistiques et rhétoriques du grec biblique,
- une faute de français,
- qui elle-même induit un contre-sens sur le texte grec!...
Commentaires patristiques de cet évangile :
« Jésus Christ est notre salut.
En effet, il l’est en personne, lui qui a été blessé pour nous, cloué à la
croix, puis déposé de la croix et mis au tombeau.
Il en est sorti, guéri de ses blessures, gardant ses cicatrices. Car il
jugea profitable à ses disciples que ses cicatrices fussent gardées, pour guérir
les cicatrices de leur cœur. Quelles cicatrices ? Celles de l’incrédulité.
En effet, lorsqu’il apparut à leurs yeux en présentant une chair réelle, ils
pensèrent voir un esprit. C’est là une blessure du cœur qui n’est pas légère !
Que votre charité y songe : s’ils avaient gardé cette blessure –
pensant que le corps enseveli n’était pas ressuscité, mais qu’un esprit avait
trompé leurs regards par l’illusion d’un corps humain – s’ils étaient demeurés dans
cette croyance, ou plutôt même cette incrédulité, ce n’est pas leurs blessures
qu’il aurait fallu déplorer, mais bien leur mort ! »
<- L'incrédulité de saint Thomas - bas-relief (détail) du cloître de l'abbaye Santo-Domingo de Silos(Espagne) - fin du XIème siècle.
Au premier plan, de gauche à droite: à l'abri du bras protecteur de Jésus, Thomas ose toucher le côté blessé de Jésus; puis Paul et Pierre (on ne voit pas André); derrière eux, Jean, Jacques, Philippe et Jacques le Mineur; au dernier plan, Matthieu, Jude, Simon, Barthélémy. Leurs noms gravés sur leurs auréoles permettent de les identifier, ainsi que quelques traits caractéristiques: Paul a le front dégarni et ridé par le souci des Églises qu'il a fondées; il porte sur une banderole la citation de 2Co 12,7. Pierre porte une clef (castillane!); son index droit levé est signe d'autorité et geste d'enseignement. Dans la main d'André, qu'on ne voit pas ici, les Écritures se présentent non comme un rouleau antique, mais comme un manuscrit relié semblable à ceux que copiaient alors les moines de Silos. Jean a un visage jeune et fin, au regard profond de visionnaire. Les apôtres sont tous tournés vers le Seigneur, formant une sorte de couronne autour de lui; le mouvement de leurs corps, l'inclinaison de leurs visages, leurs regards entraînent notre regard vers les deux acteurs essentiels de cette scène: Jésus et Thomas.
« Comment le corps du Seigneur, une fois
ressuscité, est-il resté un corps véritable, alors qu'il a pu entrer auprès des
disciples malgré les portes
fermées ? Nous devons savoir que l'action divine
n'aurait plus rien d'admirable si la raison humaine pouvait la comprendre, et
que la foi n'aurait pas de mérite si la raison lui fournissait des preuves
expérimentales. De telles œuvres de notre Rédempteur, qui par elles-mêmes sont
absolument incompréhensibles, doivent être méditées à la lumière de ses autres
actions, en sorte que nous soyons amenés à croire à ces faits merveilleux par
d'autres qui le sont plus encore. Car ce corps du Seigneur qui rejoignait les
disciples malgré les portes fermées est le même que sa Nativité a rendu visible
aux hommes quand il est sorti du sein fermé de la Vierge. Il ne faut donc pas
s'étonner si notre Rédempteur, après être ressuscité pour vivre à jamais, est
entré malgré les portes fermées, puisqu'en venant en ce monde pour mourir, il
est sorti du sein de la Vierge sans l'ouvrir.
Comme la foi de ceux qui regardaient ce
corps visible demeurait hésitante, le Seigneur leur a présenté à toucher cette
chair qu'il avait fait passer à travers les portes fermées... Or, ce qui se
touche se corrompt nécessairement, et ce qui ne se corrompt pas ne peut pas
être touché. Mais d'une manière merveilleuse et incompréhensible, notre
Rédempteur nous a donné à voir après sa résurrection un corps à la fois
incorruptible et palpable. En le montrant incorruptible, il nous invitait à la
récompense ; en le donnant à toucher, il nous confirmait dans la foi. Il s'est
fait donc voir à la fois incorruptible et palpable, pour bien manifester
qu'après sa résurrection son corps restait de même nature, mais qu'il était
élevé à une gloire tout autre. »
Méditation sur cet évangile par une moniale des Fraternités Monastiques de Jérusalem:
La paix est l’un des fruits, le beau et précieux fruit de la Résurrection.
Le premier don du Ressuscité aux disciples réunis à Jérusalem.
La paix soit avec vous, שלום עליכם Shalom aleikhem !
Le terme biblique ‘שׁלום shalom’
excède cependant largement ce que nous entendons habituellement par
‘paix’. La racine hébraïque englobe en effet des notions de bien-être,
de bon état, de justice, d’harmonie, de bienveillance, de bonheur, bref
de plénitude. Voilà ce que le cœur grand ouvert du Christ veut nous
partager. Ce qu’il nous offre et nous souhaite, c’est en fait
lui-même : c’est lui, le Ressuscité, qui est notre paix
et notre plénitude. Il est là, devant nous, pour nous transfuser cette
paix profonde découlant du pardon des péchés. Non pas à la manière du
monde, ses mains transpercées en témoignent. En contemplant le
Ressuscité, nous découvrons la fabuleuse destinée de notre nature
humaine : Dieu veut la mener à la plénitude de la divinité. En regardant le Ressuscité, nous pouvons en vérité nous écrier : Voici l’homme !
Voici ce que nous serons! Dans notre joie, nous avons nous aussi peine
à y croire, alors rappelons-nous ses paroles. Méditons-les dans la
lumière de Pâques, laissons-les ouvrir en nous un chemin de vie. Elles
peuvent et veulent façonner en nous le Christ : c’est lui la réalité
ultime de l’homme, l’à-venir de l’univers. Permettons-lui, puisqu’il
est La Parole, l’unique et définitive parole du Père, d’accomplir en
nous sa course : nous prendre dans le grand bouleversement de la
miséricorde pour nous entraîner au fond du cœur du Père. Devenons ainsi
nous-mêmes parole de paix, bénédiction sur le monde, en commençant par Jérusalem !
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